Physical Address

304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124

« La Déferlante » : avorter, récit d’une lutte encore inachevée

La revue des revues. L’inscription de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution, votée par les parlementaires réunis en Congrès, le 4 mars, est historique à plus d’un titre. Outre qu’il fait de la France le premier pays au monde à graver dans le marbre du texte fondamental la liberté pour les femmes à disposer de leur corps, ce vote, près de cinquante ans après la loi Veil, en décembre 1974, marque le couronnement d’un combat. Mais non son aboutissement, comme le titre le dossier « Avorter. Une lutte sans fin » de La Déferlante. La revue des révolutions féministes (144 pages, 19 euros).
Il n’est pour s’en convaincre qu’à se pencher sur les données collectées par la « data journaliste » Julie Desrousseaux. Celles-ci offrent un panorama assez complet des inégalités dans le monde où 40 % des femmes ne peuvent avoir recours à l’IVG. Tandis que les autres font face à des contraintes de délai ou de condition, comme en Italie où 65 % des médecins s’y opposent en faisant jouer leur clause de conscience.
L’état des lieux des inégalités posé, la revue met en évidence les combats actuels. Tel celui des militantes en Pologne pour contourner un droit d’accès à l’IVG mis à mal par le parti ultra-conservateur au pouvoir pendant près de dix ans. Bien que réalisé avant les évolutions législatives du nouveau gouvernement de Donald Tusk, le reportage d’Elodie Hervé permet de prendre la mesure des violences subies par les Polonaises, rendues possibles notamment par l’inaction des autorités médicales.
L’activisme de ces femmes n’est pas sans rappeler celui des militantes du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC) qui contribua à l’adoption de la loi Veil, en 1975. Et plus encore, comme l’analyse ici l’historienne Lucile Ruault : « Un legs premier du MLAC est la défense de conditions d’avortement plus satisfaisantes, qui s’est traduite en droit avec le remboursement de l’acte (1982), la création du délit d’entrave à l’IVG (1983) et plus tard l’allongement des délais d’avortement ou encore la suppression de l’entretien psychosocial. » Revisitant l’histoire du mouvement, et préfacière du récit d’Annie Chemla Nous l’avons fait (Editions du Détour, 184 pages, 16,90 euros), elle rappelle aussi l’inventivité de son mode d’action – notamment le « self help » – et surtout la volonté d’agir contre l’emprise médicale.
La question des difficultés d’accès, qui n’épargne pas la France où « une femme sur quatre » est contrainte de changer de département pour mettre fin à une grossesse non désirée, est abordée avec l’anthropologue Mounia El Kotni au travers du concept de « justice reproductive ». Lancé par des militantes afro-américaines dans les années 1990, ce concept intersectionnel, qui dépasse la question du choix, combine le principe de justice et celui du droit d’avoir ou non des enfants et de les élever dans la dignité et un environnement sain. Ce faisant, il ouvre large le champ d’une lutte qui est loin d’être achevée.
Il vous reste 2.56% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

en_USEnglish